Immuable et mobile

Par Jilda Hacikoglu

Venise est toute aussi riche de surprises au rythme de son carnaval, que de sa Biennale. Cette manifestation artistique qui se tient tous les 2 ans, est l’une des plus anciennes et prestigieuses du monde. Comme le carnaval, elle se répand dans toute la ville, avec son cortège de vernissages, dévoilant pour les plus avertis les recoins secrets de palazzos fermés le reste du temps. Des palazzo accueillant d’audacieuses installations qui renouvellent aussi le mystère de la Cité des Doges. Immuable Venise ? Pas si sûr. Mai 2015 ouvre la 56ème édition de la Biennale qui durera jusqu’en novembre. En cette année particulière, la République d’Arménie dédie son pavillon aux œuvres d’artistes arméniens de la Diaspora, sur le thème de l’arménité. Armenity/Հայութիւն réunit les œuvres ainsi collectées de par le monde, dans le décor à part de l’île San Lazzaro degli Armeni. Le résultat déborde de symboles et d’histoire(s) qui dialoguent naturellement avec le lieu qui les abrite et ses visiteurs, surtout s’ils sont Arméniens.

Toutes les œuvres résonnent de manière plus ou moins frappante selon leurs auteurs : un montage poétiquement brodé d’une Arménienne du Brésil, l’usage des plantes et de verdure, les vers arméniens rêveurs et à peine visibles du poète Daniel Varoujan, ou les installations vidéos sur les accents, tellement drôles et récurrents pour les polyglottes arméniens. Les pièces agencées sur l’île se fondent si bien dans ce lieu accueillant, qu’on peine même parfois à les détecter. Quoi de plus évident par exemple, que l’antique bibliothèque des Mekhitaristes pour accueillir The Keepers (les gardiens) de Hera Büyüktaşçıan, ces mains de bois tenant des lettres arméniennes en bronze, éparpillées dans les rayonnages autour de la célèbre momie ? En somme une immersion parfaite dans cette identité originale, aujourd’hui d’autant plus chérie qu’elle est complexe et fragile.

Cette installation réussie n’a pas échappé au jury de la Biennale, qui l’a distinguée par le Lion d’or du meilleur pavillon national. Un Lion d’or phare pour l’année du centenaire, car il met en lumière les diverses réalités contemporaines et communes des Arméniens, quel que soit leur lieu de vie. Distinction très acclamée aussi car elle récompense un pavillon fondamentalement arménien et transfrontière à la fois.

Autre bonne surprise découverte à San Lazzaro : l’ouverture au public du musée typographique et éditorial des Pères Mekhitaristes, dans une aile de l’ancienne imprimerie du monastère. L'imprimerie arménienne a en effet débuté là il y a quelques siècles, et il est tout simplement magique de découvrir les outils et épreuves typographiques arméniens si bellement ouvragés, usités à l’époque.

Cette restauration a été permise il y a peu grâce à la contribution de la Fondation Alliance Arménienne de Genève, mais encore fallait-il gérer les horaires de visite du monastère et du vaporetto pour permettre cette ouverture large au public. Casse-tête typiquement vénitien que la Biennale règle le temps de l’exposition, et qui on l’espère pourra se poursuivre.

Au cœur de la Sérénissime, dans le beau palais Zenobio, le collegio armenio Moorat Raphaelian, est un autre acteur de la Biennale, en accueillant dans son jardin le pavillon de la Lituanie. On y trouve un « musée » fort sympathique fait d’œuvres ou anecdotes individuelles d’artistes lituaniens, faisant un pied de nez à l’histoire soviétique du pays. Rafraîchissant ! Plus classiquement l’ancien collège mekhitariste a été animé par divers évènements commémoratifs du centenaire tout début mai. Fort des échanges réguliers entretenus avec les écoles italiennes, où se sont tenues des conférences sur le génocide, une association s’est formée et présente une exposition des clichés magnifiques de l’Arménie par Graziella Vigo. Dans les autres salles et jusqu’en septembre prochain, se trouvent également deux autres expositions : l’une précisant les découvertes de ce qui serait l’arche de Noé sur le Mont Ararat, et l’autre sur le projet de rénovation du collegio armeno. L’accrochage de ces différentes présentations coïncidait avec plusieurs récital et conférences donnés au palais Zenobio. Parmi ceux-ci : une représentation en plein air de la pièce Ararat, una storia armena. Très évocatrice de la brutalité du génocide, cette pièce a la particularité d’avoir été entièrement montée et jouée par de jeunes italiens d’une école de théâtre basée à Florence.

En cette année marquée par le centenaire, ce « geste » est d’autant plus fort qu’il est le fruit d’un travail conséquent dont l’initiative est à 100 % italienne. Une forme de reconnaissance qui va droit au cœur de ceux qui luttent toujours contre l’oubli des leurs. Une preuve aussi que comme pour Venise, on n’épuise jamais le sujet et on peut toujours se renouveler quand il est question d’Arménie.

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L’arménité à Venise
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