Antoine Agoudjian
Son récit avait été un des tous premiers à figurer sur la version francophone du site 100 LIVES. Le temps passe et le photographe Antoine Agoudjian continue d’arpente la terre d’Arménie réelle et celle peuplée de fantômes. Ce lien fragile avec le passé, il parvient tant bien que mal à le garder vivant au fil de ses voyages en Arménie au Karabagh, Turquie et au Moyen Orient.
Par Tigrane Yegavian
Témoin d'un monde perdu, tu es le premier photographe arménien depuis le génocide qui a débuté un travail sur la mémoire des Arméniens de Turquie, le premier à exposer sur le sol turc. Quel impact cela a eu dans ton travail de photographe et ta perception du réel ?
En fait j'ai utilisé le réel, celui du passé afin d'illustrer un héritage mémoriel qui subissait un déficit d'image. La mémoire du génocide à notre époque était avant tout une transmission orale. J'ai donc utilisé le réel pour évoquer une histoire passée. Après mon séjour en Arménie j'avais ressenti le besoin de me rendre dans toutes les contrées qui appartenaient à cette histoire intime et notamment la Turquie. Le réel n'est que l'outil qui me permet d'exprimer une introspection.
N’y avait-il pas une part de thérapie dans ce travail ?
Une démarche inconsciente au départ, mais effectivement cet héritage étant aussi un poids qui ne favorise pas l'épanouissement humain, il génère le ressentiment voire la haine. Seule l'amitié avec des Turcs et des Kurdes, ce que Hrant Dink appelait de l'empathie, peux dissoudre les effets néfastes d'un héritage aussi lourd.
En 2015 a paru en France et aux États Unis ton sixième livre, il réunit 27 ans de travail en immersion « Le cri du silence », un album sur les traces de la mémoire arménienne, le projet d’une vie. Tu aimes rappeler que chaque pierre, chaque parcelle évoque la mémoire des tiens, pourtant en même temps tu as peur que la culture arménienne disparaisse à tout jamais. Quel est ton sentiment aujourd’hui ?
L’intensité de tes clichés, la vérité des visages rencontrés nous laisse penser qu’au-delà des ruines et de l’effacement, l’Arménie occidentale existe encore, sauf qu’elle s’est muée en entité spirituelle. Ton travail n’est pas celui de l’archéologue ? La démarche du photographe arménien consiste-t-elle uniquement à immortaliser les rares traces de notre présence plurimillénaire sur le sol anatolien ?
Je cherche sur cette terre turque à rencontrer des héritiers de la mémoire arménienne : Turcs, Kurdes, Arméniens islamisés.
En quoi ton contact auprès des Arméniens islamisés a eu des conséquences dans ta perception de l’arménité compris comme un concept flou, hybride et où l’amour envers sa terre et ses racines est le fil conducteur ?
Les Arméniens islamisés ont une culture plurielle, certains font une démarche poussée vers leur identité arménienne, d'autres ce sont fabriqué une culture hybride en se disant Arménien. Les "Denmeh" qui revendiquent leur mémoire arménienne. Certes ils la revendiquent mais ils se sont construit une culture hybride dépouillée de culture arménienne, cultuelle, linguistique, intellectuelle.
Avec tout ce vécu fascinant et si riche, que comptes-tu transmettre à tes enfants ? Quelle place accorder au transgénérationnel dans notre existence, toi qui enfant était au contact de la génération des survivants ?
De ce côté le passage est assuré, mon épouse Christina Galstian est chorégraphe et directrice artistique de la compagnie Yeraz, nos enfants Chouchane et Vartan y dansent depuis tout petit, Alfortville était et est encore restée un village arménien.
crédit photo © Clément Briend
suivez l'actualité d'Antoine Agoudjian sur son site : http://www.agoudjian.com/