Yaşar Kurt : chanteur, rebelle, arménien

Le célèbre chanteur de rock turc Yaşar Kurt a toujours été un rebelle dans l'âme. Il a participé à des actions antigouvernementales, il a été arrêté plusieurs fois et il a même été emprisonné. Ses chansons sont considérées comme un symbole de la dissidence, elles résonnent comme l’hymne de la lutte contre la guerre, la violence, l'intolérance religieuse.

En Turquie personne n'a été étonné, quand en octobre 2008, Yaşar a signé sans hésiter une pétition dont les auteurs demandaient pardon aux Arméniens pour la politique du gouvernement concernant le génocide. Il était à l'époque bien loin de soupçonner que c'est à lui-même qu'il demandait pardon…

C'est seulement quand il avait quarante ans que Yaşar Kurt a appris qu'il était arménien. Il avait remarqué depuis longtemps qu'il n'était pas comme les autres. Mais ses parents continuaient à cacher l'histoire de l'origine de la famille. En 2009, alors qu'il était déjà un musicien connu, Yaşar a pour la première fois donné un concert à Erevan. « En Arménie il y a toujours une atmosphère pour moi très familière, je me sentais comme chez moi » se souvient Yaşar. « Un jour, alors que je me promenais en ville, j'ai acheté dans une boutique un disque du grand compositeur arménien Komitas. J'ai remarqué que le portrait sur la pochette me ressemblait beaucoup. Et cela m'a frappé, pourquoi est-ce que je ressemblais autant à un Arménien si j’étais turc ? »

« Pourquoi je pleure à chaudes larmes quand j'écoute de la musique arménienne ? »

De retour à Istanbul, il est allé voir son père et a exigé que celui-ci lui raconte toute la vérité sur la famille. L'histoire s'est avérée encore plus tragique que ce à quoi Yaşar s'attendait. Il a appris que ses ancêtres vivaient dans la région de Van, dans le village arménien de Anzer. En 1915, lors des premiers pogroms arméniens, toute la famille avait été massacrée. Seul un garçon âgé de neuf ans, prénommé Ismaïl, avait survécu. Il était allé à pied jusque sur les rives de la mer Noire où il avait été recueilli par de braves gens. Et ce petit garçon, c'était l'arrière-grand-père de Yaşar.

Cela a été pour Yaşar un grand bouleversement. Une fois la lumière faite sur les pages sombres de l'histoire de sa famille, il a compris d'où venait en réalité la révolte intérieure qui parcourt toute son œuvre. Ce n'est pas facile de se redécouvrir à quarante ans. Il fallait que Yaşar trouve sa place parmi les Arméniens. Il s’est mis à apprendre l'arménien, à lire des ouvrages sur l'histoire de l'Arménie.

«Une fois que j’ai eu dit publiquement qu'à partir de maintenant j'étais arménien, je me suis mis à avoir pas mal d'ennemis» dit Yaşar devenu Archak. «Il y a même certaines personnes que je considérais comme des amis qui se sont détournées de moi. Il y a eu des gens qui ont dit : “Eh bien, si tu es arménien, tu n’as qu’à aller en Arménie.” C'est difficile pour moi d'expliquer que si je suis arménien, c'est ici que je suis chez moi. Mes ancêtres n’ont pas choisi que leur patrie devienne une partie de ce pays. Mais malgré cela, les Arméniens ont fait tant de bonnes choses pour la Turquie que je peux sans problème être fier de mes origines.»

Yaşar Kurt est un exemple éclatant du fait que de nombreux Arméniens de Turquie, malgré la tragédie monstrueuse qu’ils ont vécue, aujourd'hui encore continuent à contribuer de façon remarquable  au développement de la culture turque. Et c’est en premier lieu le cas en musique.

Impossible d'imaginer la musique d’aujourd’hui en Turquie sans les Arméniens.

Hayko Cepkin est la star la plus connue du rock turc.Il est sans doute le seul musicien turc de « métal » connu à l'étranger. Les chanteurs de variété les plus célèbres de Turquie doivent leur carrière au producteur et à l'arrangeur légendaire arménien Onno Tunç. Le nom véritable du célèbre compositeur turc Cenk Taşkan est Majak Tochikian. Une des plus grandes interprètes de Cenk Taşkan, la chanteuse stambouliote Sibil Pektorosoğlu, est également arménienne. Tous sont les héritiers du compositeur Komitas et ont continué à vivre et à créer sur les rives du Bosphore malgré les plans criminels des Jeunes-Turcs.

« Je dois beaucoup au grand Komitas. Sans lui, je n'aurais sans doute jamais su que j'étais arménien. Grâce à Komitas je me suis trouvé, j'ai acquis une certaine harmonie et j'ai retrouvé la foi » déclare Yaşar Kurt.

Artem Erkanian, journaliste arménien, documentaliste. Auteur d’un documentaire sur les relations arméno-turques produit par la chaîne de télévision « Shant ». Il anime le programme  «Ashkhari Hayer» (« les Arméniens du monde ») et est analyste politique au journal «Novoyé Vremia ».

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Artiom Yerkanian : à propos des Arméniens retrouvés