QUAND LA MÉMOIRE ÉCLAIRE L’AVENIR

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Elie Wiezel : Prix Nobel de la Paix

Ruben Vardanyan : Philanthrope, entrepreneur, cofondateur de 100 Lives

Les crimes répétés et d’une incroyable violence commis par Boko Haram en Afrique, par les talibans en Afghanistan et par l’Etat islamique au Moyen-Orient, peuvent nous laisser penser qu’au 21e siècle, les droits de l’homme et la dignité humaine sont plus que jamais bafoués que par le passé.

Peut-être. Mais peut-être est-ce l’abondance des images qui nous rend plus conscients de cette inhumanité débridée, de ces monstruosités commises avec un continuel sentiment d’impunité ?

Ayant tous les deux nous-mêmes directement connu la dévastation, passée et présente, qui est au-delà des images, nous sommes convaincus que la vérité est non seulement plus complexe, mais aussi moins désespérée.

Nous commémorons ensemble le centenaire du premier génocide de l’ère moderne – commis par l’État ottoman contre sa propre population arménienne – et nous déclarons qu’il est temps de reconnaître les souffrances passées et présentes, de mettre un terme définitif aux violences et de condamner publiquement leurs instigateurs.

Alors qu’hommes politiques et organisations discutent des mesures à prendre pour défendre le droit humain fondamental qu’est le droit à la vie, nous pouvons – et même nous devons – occuper le devant de la scène dans le discours international, tirer les dures leçons du passé, être fiers d’avoir survécu et de ce que nous sommes devenus, et rendre hommage à tous ceux qui ont refusé la violence et le mal et ont préféré le bien et l’humanité.

Comment le souvenir des injustices passées peut-il nous aider à lutter contre la violation des droits de l’homme aujourd’hui ?

Les récits des Arméniens qui ont survécu à la déportation et aux massacres du génocide au début du 20e siècle, des Juifs rescapés de la barbarie hitlérienne, des Rwandais qui ont subi une violence indicible et se sont attelés à la reconstruction, des habitants du Soudan qui continuent, envers et contre tout, à résister à la fois aux cataclysmes naturels et aux désastres créés par les hommes... toutes ces histoires nous enseignent qu’il n’est pas une époque, pas une région, pas une religion qui soit à l’abri des forces politiques et sociales susceptibles de transformer des voisins en pires criminels qui soient.

Oublier les atrocités du passé ou ignorer celles qui sont commises aujourd’hui, dans de trop nombreuses régions du monde, c’est manquer à la fois de cœur et de perspicacité : cela permet à la violence de recommencer, plus souvent, plus près. Mais il n’est pas moins risqué d’occulter les actes courageux, les véritables exploits de ceux qui s’opposent à la violence, l’empêchent, la contrent, et luttent pour défendre nos droits et notre dignité humaine. En oubliant, nous laissons ceux qui ont détruit écrire l’histoire des hommes, et non pas ceux qui ont sauvé et construit.

Oskar Schindler, auquel rend hommage le film de Steven Spielberg devenu un classique du cinéma [le russe rajoute : et dont le scénario a été écrit par Steven Zaillian], nous a montré qu’une seule personne intègre peut sauver des centaines de vies.

Karen Jeppe, une jeune missionnaire qui n’avait que 27 ans quand elle a quitté le Danemark, est venue en aide à des femmes arméniennes, orphelines ou enlevées durant les marches forcées dans le désert devenu un lieu d’exécution durant le génocide arménien. Elle est parvenue à sauver et à aider environ 2 000 personnes sur les 200 000 qui étaient vouées à la mort.

Il y a cent ans, un groupe de personnes généreuses et attentionnées s’est réuni au Plaza Hotel à New York et a collecté 117 millions de dollars (ce qui équivaudrait aujourd’hui à 2,7 milliards) pour envoyer des médecins et des infirmières volontaires aider les réfugiés arméniens. Grâce à eux, ce sont des multitudes de gens qui ont été sauvées de la faim et de la mort Aujourd’hui, les descendants de ces survivants sont devenus scientifiques, ministres, artistes, athlètes, entrepreneurs et enseignants. Ils savent qu’ils doivent la vie à la bonté et à l’humanité de parfaits inconnus.

En 2006, un entrepreneur de Denver et deux réfugiés soudanais ont lancé le Nuba Water Project, pour alimenter en eau potable et sauver ainsi les habitants des régions reculées du Soudan, persécutés par leur propre gouvernement.

Ces histoires nous donnent de l’espoir parce qu’elles montrent que malgré les pressions des forces politiques et sociales destructrices, il arrive parfois que des voisins ne deviennent pas des collaborateurs, mais des sauveurs, et que même les actions entreprises par un seul individu ont pu préserver la vie là où seule la mort devait l’emporter.

Notre projet 100 Lives reconnaîtra publiquement les actions humanitaires accomplies partout dans le monde. Chaque année, 100 Lives décernera l’Aurora Prize for Awakening Humanity, d’un montant d’un million de dollars, qui récompensera toute personne ou groupe ayant surmonté l’adversité et apportant une contribution importante à des causes humanitaires. Cette initiative et ce prix s’inscriront dans des efforts globaux pour favoriser une prise de conscience générale et encourager la protection des plus vulnérables.

La commémoration du génocide n’aura de sens que si nous œuvrons tous ensemble pour remercier ceux qui ont résisté et ont combattu la violence hier, et ceux qui résistent et la combattent aujourd’hui. Nous leur apportons notre respect et notre soutien  non seulement en leur disant merci, mais aussi en nous joignant à eux.

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Subtitle: 
par Ruben Vardanyan et Elie Wiezel
Author: 
Рубен Варданян, Эли Визель