Les incendiaires de la mémoire
Film documentaire écrit et réalisé par Chantal Picault, "Les incendiaires de la mémoire-Négationnisme, la face cachée du génocide" tente d’analyser les mécanismes du négationnisme à partir de trois génocides, de leurs points communs et de leurs singularités. Un document essentiel pour comprendre cette idéologie sulfureuse et abjecte qui perdure envers et contre tout.
«Je me suis rendu compte auprès de mes amis français de leur incompréhension ou tout simplement de leur indifférence à cette grave question qui touche notre humanité mais qui, pour beaucoup, leur semble appartenir au passé». Tel est le point de départ de ce documentaire de Chantal Picault qui, à l’aube du centenaire du génocide des Arméniens, revient sur cette plaie béante qu’est le négationnisme. Fil conducteur du film, le spécialiste reconnu des génocides Yves Ternon, apporte son éclairage d’historien sur les grands thèmes abordés. Très didactique, il énumère les trois génocides incontestables du XXème siècle — destruction des Arméniens, Holocauste juif et génocide des Tutsis — et tranche, évoquant Pierre Vidal-Naquet: «On ne discute pas avec les négationnistes. Pourquoi refuser le dialogue? Pour une raison très simple: ce sont des menteurs».
«No Holocaust»
Yves Ternon rappelle les origines du terme négationnisme: «C’est un mot inventé en 1987 par Henry Rousso dans un contexte bien particulier, il s’agissait de traduire en français le ‟no holocaust” américain», expression utilisée pour nier l’usage criminel des chambres à gaz à Auschwitz. L’historienne Valérie Igounet, quant à elle, rappelle que «le discours négationniste est un discours antisémite» qui au fur et à mesure de son évolution va prendre rapidement d’autres facettes dont l’antisionisme et son discours fallacieux: «le peuple juif aurait inventé ce discours pour créer l’état d’Israël et pour faire payer aux Allemands des réparations.» Un discours dont le succès n’est pas étranger à un certain Robert Faurisson — auteur de la triste phrase «À Auschwitz on n’a gazé que des poux» — qui l’a porté à l’un de ses plus hauts niveaux dans les années 70.
Pères fondateurs assassins et meurtriers
Parmi les nombreuses interventions, les plus remarquables sont sans aucun doute celles de l’historien turc Taner Akçam qui n’hésite pas à marteler la vérité de manière directe et franche en énonçant par exemple que «cela n’est vraiment pas facile pour la société turque d’accepter que leurs pères fondateurs furent en même temps des meurtriers et des voleurs pendant le génocide arménien» ou en expliquant comment le négationnisme d’État mis en place par les gouvernements turcs successifs s’est «durci et radicalisé après 2000» avec le changement de la ligne éditoriale des manuels scolaires. Jadis laconiques sur le génocide des Arméniens, ils enseignent désormais aux élèves turcs que «ce sont les Arméniens qui ont organisé un génocide envers les Turcs pendant la Première Guerre mondiale»!
Terre des droits de l’homme
Tout aussi grave et mal connu du grand public, alors qu’étrangement les faits se sont déroulés il n’y a que 20 ans, la négation du génocide perpétré contre les Tutsis par les Hutus au Rwanda en 1994. Négation d’autant plus incompréhensible et cruelle qu’elle est notamment opérée par la France qui enfume l’opinion publique en manipulant la réalité de l’opération Turquoise sur le terrain. «On ne peut pas porter à la fois la casquette d’une puissance universaliste, terre des droits de l’homme, et porter la tare d’avoir aidé à la commission d’un crime abominable; comment conjuguer les deux ?» s’interroge José Kagabo, historien rwandais. À partir de 2007, le tir semble être rectifié et le négationnisme d’État disparaît progressivement. Mais le mal est fait.
Mourir une deuxième fois
Revoir certaines images d’archives, même vues et revues, glace encore le sang : Hitler au Reichstag en 1939 prédisant la destruction des Juifs d’Europe ; Théoneste Bagosora, « cerveau » du génocide des Tutsis condamné à 35 ans de prison et niant l’existence des escadrons de la mort ; Doğu Perincek, ultranationaliste turc et négationniste notoire, etc. Ces images font office de vaccin ou de piqure de rappel contre un virus décidément très coriace et toujours aussi virulent. Une maladie que des associations comme le Collectif Van ou Ibuka France ont décidé de combattre activement, sans tomber dans le piège de la concurrence des mémoires. «Il m’a semblé que la propagation du déni était tout aussi importante que les faits eux-mêmes: «c’est comme faire mourir les victimes une deuxième fois, c’est accuser leurs descendants de mensonge» déplore Chantal Picault.
Voilà un documentaire salutaire qui sait faire œuvre de pédagogie sans être scolaire, un film qui a le mérite de faire intervenir des intellectuels et activistes pertinents. Les incendiaires de la mémoire s’avère essentiel en ces temps de confusion où l’histoire et la mémoire sont trop souvent falsifiées et galvaudées. Une vraie œuvre de salubrité publique.
Projections prévues à Livry Gargan au Château de la foret Le 3 mai 2015 à 15h. 62 avenue du Consul Général Nordling 93190 Livry-Gargan (RN3), RER B Sevran-livry puis bus 147 arrêt Charles de Gaulle (juste devant le château) et à la Maison de la Culture Arménienne de Paris le 17 juin 2015, 17 rue Bleue 75009 Paris.
Mickaël Jimenez-Mathéossian est journaliste-photographe freelance. Il travaille notamment pour l’association Yerkir Europe et son projet Repair. Son site: www.mjm-wordsandpics.com