L'Arménie dans un écrin

Par Mickaël Jimenez-Mathéossian

Mettre l’Arménie (leur Arménie) dans une boîte. Telle est l’idée d’Anna et Camille, 21 et 29 ans, jeunes artistes polyvalentes et adeptes de l’autoédition, pour célébrer de manière personnelle le centenaire du génocide arménien. « Nous voulions absolument faire partie d’un mouvement, d’un moment important pour nous, comme il l’est pour tous les Arméniens, et honorer nos origines, notre famille et notre culture, celle de l’Arménie, mais surtout celle de notre famille. Le titre est apparu très vite, il a guidé tout notre travail. » Le titre c’est Menq enq mer sarere, « nous sommes nos montagnes », le nom de la sculpture massive qui trône à la sortie nord de Stepanakert, la capitale du Haut Karabakh, mais aussi la traduction française du titre d’un film de Henrik Malian, We and our mountains. C’est d’ailleurs cette référence-là qui a inspiré le duo pour créer le coffret du même nom qui contient un livre, un polaroïd unique, un poster, des cartes postales, 52 minutes de field recording et une poignée de terre collectée près de Khor Virap en face du Mont Ararat ! Une boîte remplie de petits bijoux, plus précieux les uns que les autres. Un véritable écrin, dont seulement 180 exemplaires ont été confectionnés. « Nous voulions faire un objet symbolique qui soit intemporel et avons donc décidé de faire un coffret, objet puissant, comme une boite à souvenir de famille, et d’y ajouter du son et de la terre, que nous aurions rapporté d’Arménie » commente Camille. «C’était très important d’avoir cette rencontre entre les souvenirs et l’Arménie d’aujourd’hui en 2015. Il y a plusieurs réalités, celle de l’Arménie que tu retrouves et celle dont on t’a parlé, celle que tu vis ou celle que tu vois dans les films. C’était chouette de rendre compte de ce qu’on en a entendu, de ce qu’on a cru et de ce qu’on a vraiment vu » ajoute Anna.

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PUZZLE

Nées au sein d’une famille aux origines diverses avec une grand-mère arménienne, éparpillée aux quatre coins du monde, secouée par les vagues successives d’immigration et baignant dans une culture plus russe qu’arménienne, les deux sœurs n’ont jamais fréquenté les structures traditionnelles de la diaspora, encore moins la communauté arménienne. Malgré tout, elles ont su opérer un retour vers leurs racines très personnel fait d’un mélange de souvenirs familiaux maintes fois ressassés, altérés et magnifiés, de références cinématographiques et photographiques pointues — Tarkovski et ses polaroïds —, de poésie « injustement » oubliée — Khodasevitch dont la fin d’un poème inspirera le nom de leur association dédiée à l’autoédition, Orpheus Standing Alone — et d’une imagination plus que fertile. Une façon bien à elles de reconstituer un peu le puzzle de leurs origines et se forger une arménité — terme qu’elles n’aiment pas utiliser — unique, intime et surtout choisie. « Pour moi, cette transmission arménienne est plus de l’ordre de la reconstruction. Je ne sais pas grand-chose de ma grand-mère et de ses frères et sœurs, ils sont décédés lorsque j'étais trop jeune. Donc j'ai dû recoller les morceaux des quatre histoires que l'on ressassait dans ma famille » explique Anna, la benjamine. Elle ajoute : « C’est une quête identitaire personnelle, mais aussi artistique aussi. Entre les histoires que l’on nous a racontées et ce qu’on a intrinsèquement en nous, ce qu’on en fait aujourd’hui et comment on rattache cela à ce que nous sommes. » Une quête de vérité donc qui a permis aux deux sœurs de se retrouver. « Il s'agissait de s'affirmer comme personnes, petites filles d'Arméniens, mais aussi et surtout comme artistes. De rendre hommage à ses influences qui nous sont manifestement inhérentes finalement. Ces influences qui nous permettent d'avoir une culture très singulière, et un goût plus particulier ».   

COLLAGES

Recoller les morceaux éparpillés aux quatre coins, rassembler les pièces d’un ouvrage sans vraiment avoir connu sa forme initiale, c’est peut-être un peu de là que leur vient cet amour intense pour Sergueï Paradjanov, célèbre entre autres pour ses sublimes collages — technique que les deux sœurs pratiquent — et sa capacité à créer à partir de presque rien. « On aime viscéralement Paradjanov. C’est un peu une nouvelle révélation, un nouveau mentor visuel » s’enthousiasme Camille. « J’ai entendu en Arménie des sons que j’avais déjà entendus dans ses films. C’était très émouvant » se souvient Anna. Ce qui fait la force de leur projet d’édition c’est donc cette capacité à transformer le personnel en universel en utilisant, bien sûr, certaines références incontournables comme la grenade, le mont Ararat ou les icônes religieuses, mais de manière radicalement contemporaine et très intime. Ce qui fait de Menq enk mer sarere  une véritable ode à l’Arménie d’aujourd’hui, ni mythifiée ni figée dans un espace-temps que l’on aurait emprisonné dans du formol. « L’Arménie, les Arméniens, ce n’est pas une confiture d’abricot et un duduk larmoyant, il faut arrêter de mettre en avant une image pathétique, victimaire, désuète d’un peuple qui ne sait que souffrir et se plaindre. Car c’est faux. La culture arménienne gagne à être découverte, elle est riche, puissante visuellement et d'une richesse impressionnante, malheureusement trop méconnue, souvent approchée avec empathie par rapport au génocide » analyse Camille. « L'Arménie, par exemple, c'est Paradjanov, c'est de la poésie, de la musique, de la peinture. Bien sûr, ce n’est pas un Eden, il y a beaucoup de choses qui ne vont pas là-bas, mais l’Arménie est un pays génial. C'est de cette Arménie dont on parle, et en ce sens c'est notre arménité à nous » concluent les deux sœurs.

 

A consulter : http://www.orpheusstandingalone.com ; https://soundcloud.com/orpheus-standing-alone

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