Charles Berberian

French

Par Laurent Mélikian

Il est né à Bagdad en 1959, a grandi au Liban avant de s’établir en France. Charles Berberian est une signature notable de la bande dessinée et de l’illustration française. On aura du mal à cataloguer son œuvre aux influences multiples. Entre Orient et Occident, bande dessinée traditionnelle et contemporaine, humour et émotion, graphisme et musique, travail solitaire et collectif : à l’évidence l’artiste aime fréquenter plusieurs rives simultanément.

 « C’est en 1921 que Madeleine et Archavir fuient la Turquie pour aller s’installer au Liban. (...) J’ai une photo qui porte au dos le sceau du photographe. L’adresse, Grand Rue de Pera, est à deux pas de mon hôtel,… » En ouverture d’Istanbul, carnets (Ed. Cornélius) qu’il a dessiné en 2007 avec son complice Philippe Dupuy, Charles Berberian évoque par le texte, la photo et le dessin, ses grand parents. Sa quête sera déçue, l’immeuble où était établi le photographe est remplacé par une banque, mais emporter ce cliché jusqu’aux rives du Bosphore lui apporte une satisfaction : « Je marche pour eux, là où ils sont nés. (…) Pour qu’ils se disent qu’ils ont enfin pu revenir à Constantinople»

S’il aborde volontiers ses origines, le dessinateur se méfie toutefois des étiquettes : « Enfant, j’ai vécu dix ans en Irak, puis cinq ans au Liban, et je n’ai l’impression d’être vraiment chez moi qu’en approchant de la Méditerranée ou d’une ville portuaire », déclare-t-il au magazine Marianne en 2015. « Je me sens autant grec par ma mère, que français d’origine arménienne. Être attaché à une communauté particulière même celle de la bande dessinée me donne l’impression d’un enferment.»  

On peut qualifier rapidement Charles Berberian d’auteur de bandes dessinées, le décrire de manière plus précise mais synthétique reste délicat. Au début des années 1980, il rencontre Philippe Dupuy un autre jeune dessinateur avec qui il va construire la majeure partie de son œuvre. Cas peu commun, le duo travaille conjointement tant aux scénarios qu’aux dessins de leurs histoires. Ils signent leurs planches d’un « Dupuy-Berberian » qui laisse parfois croire qu’ils ne sont qu’une seule personnalité. Depuis quelques années Philippe et Charles ne créent plus de concert, mais c’est ensemble qu’ils ont séduit les lecteurs et reçu la plus haute distinction de la bande dessinée, le Grand Prix de la ville d’Angoulême en 2008. Comme pour éviter d’être trop facilement catégoriser, ils n’appartiennent pas à une génération précise. Ils apparaissent comme un lien entre deux époques, d’une part celle de la presse adulte des années 1970 où des graphistes utilisent l’élégance de la ligne claire d’un Tintin pour des récits destinés aux adultes et d’autre part, celle des publications alternatives des années 1990 qui préfèrent les récits au long cours souvent autobiographiques, les romans graphiques. Pour brouiller un peu plus les pistes, Dupuy-Berberian collaborent d’abord à Fluide Glacial, magazine d’humour pour adultes avec des personnages d’enfant, Graine de Voyous puis Henriette.

Au début des années 1990, ils imaginent les chroniques urbaines de Monsieur Jean. Ce personnage d’écrivain parisien ressemble à un condensé des deux auteurs. Monsieur Jean leur apporte une renommée mondiale, au moment où leur signature s’affirme dans le domaine de l’illustration. À l’image d’un Kiraz autre dessinateur français d’origine arménienne né au Moyen-Orient, ils représentent alors une « french touch » graphique. Ils collaborent au magazine américain New-Yorker ou réalisent l’identité visuelle du caviste Nicolas. 

Toujours à la recherche d’autres horizons Charles Berberian est également un guitariste passionné. Il enregistre deux disques Night Buzz avec Jean-Claude Denis, autre confrère de la bande dessinée.

Ses origines arméniennes, apparaissent sporadiquement au détour des planches. En 2007 avec Philippe Dupuy, il illustre le témoignage de Virginie-Jija Mesropian, 1915-J’avais six en Arménie… (Éd. Inventaire). En 2012 dans Cinerama (Éd. Fluide Glacial), il appelle l’humour à la rescousse de la mémoire en imaginant de drôles de dialogues à un authentique film de science-fiction turc, il prête alors aux héros turcophones une peur paranoïaque de l’ « ennemi » arménien.

« Quand deux tribus se détestent, les artistes sont les premiers à établir des ponts, » confie-t-il à Marianne. N’attendez donc pas Charles Berberian sur le terrain de la revendication identitaire. En revanche pour un subtil effort de rapprochement par la culture, il peut s’engager avec enthousiasme.

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Subtitle: 
L’élégance de la ligne métissée
Author: 
Laurent Mélikian