Vahagn Hayrapetyan

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Vahagn Hayrapetyan, élève de Barry Harris et Frank Hewitt, « artiste honoré par la République d’Arménie », est un pianiste de jazz, chanteur et compositeur accompli. Il est aussi le fondateur et dirigeant du groupe de jazz-rock avant-gardiste « Katouner » (« Les Chats»). Alors qu’il avait huit ans, son grand-père débitait des noms de villes, et Vahagn lui demanda de les marquer sur une carte et de les relier avec des traits. Il ne pouvait savoir que l’homme, un rescapé du génocide, traçait en fait la route de son salut.
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Bedros Hayrapetian, le grand-père de Vahagn, avait 10 ans quand les massacres démarrèrent. Son père était militaire, et il ne l’avait pas vu depuis longtemps. Les Turcs conduisaient les Arméniens d’Eskişehir et des villages environnants vers le désert. Bedros était natif du village de Nalloukhan (actuellement dans la province d’Ankara), quelque 120 km au nord-est d’Eskişehir. Bedros perdrait sa mère, deux frères et des tantes sur la route de l’exil.

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Vahagn Hayreptyan lors d'un concert de son groupe de jazz "Katuner", ©PAN Photo / Hrant Khachatryan
 

“Pendant les déportations, un Turc de l’un des villages m’a récupéré et s’est occupé de moi pendant quelques mois. J’étais un gamin énergique et beau. Le Turc me traita bien. La nouvelle se répandit qu’il y avait un enfant arménien dans le village, et je fus raflé dans la seconde vague de déportations », dit Vahagn, rapportant les souvenirs de son grand-père.

La route des privations conduisit à Der-ez Zor. Grand-père Bedros raconta à ses petits-enfants qu’il était déshydraté à l’extrême, quand il repéra un point d’eau. Il prit un mouchoir et le trempa dedans pour l’imbiber d’eau. Il but de cette eau au compte-gouttes grâce au mouchoir. Quand il le retourna, il était couvert de vers rouges.

 

 

Bedros a marché tout le long jusque Der-ez-Zor avec les autres déportés. Lorsqu'ils atteignirent le désert, la nouvelle s’est répandue que la première guerre mondiale avait pris fin, et un ordre avait été promulgué d’abandonner les Arméniens à leur sort dans le désert. Bedros resta dans un terrier.

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          Bedros (au centre) assis devant une table de bottier avec ses collègues, Istanbul, 1924                                  

                                                      

Comment Bedros s’est ensuite retrouvé à Istanbul, ceci n’est pas très clair. Il commença à y nettoyer des chaussures, puis ensuite y apprit à vendre des chaussures. Il resta à Istanbul jusqu’en 1923. Un jour, il vit son père reposant sur le sol de l’une des églises arméniennes locales.

« Son père était dans l’armée. Les Turcs l’avaient emmené avant les massacres. Quand ils se sont rencontrés à Istanbul, ils se reconnurent, mais l’homme délirait et son état de santé était misérable. Nous ne savons pas ce qui s’est passé, mais Bedros ne revit plus jamais son père à Istanbul » raconte Vahagn.

Bedros partit de Turquie vers la Grèce, caché dans un bateau, en 1923. Il commença à pratiquer la photographie et décida de partir en France pour y apprendre le métier et revenir ensuite en Grèce.

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                            Bedros Hayrapetyan et un ami avec leurs équipements photo
 
 

Il débarqua à Marseille puis s’installa plus tard dans la banlieue de Paris à Alfortville. Bedros tomba amoureux en France et en oublia son projet d’apprendre le métier de photographe et de retour en Grèce.

« Cela se passa comme dans un film de cinéma. Ma grand-mère circulait en vélo dans Paris quand un insecte se logea dans ses yeux. Elle s’arrêta pour l’enlever, et c’est à ce moment précis que mon grand-père, qui passait par là, lui porta assistance. C’est ainsi qu’ils se rencontrèrent, dit Vahagn. En 1933, Bedros, natif de Nalloukhan, et Hripsimeh, native d’Ankara, se marièrent en France.
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        Bedros Hayrapetyan et Hripsimeh Vardanyan le jour de leur mariage, Alfortville, France, 1933
 

 

Hripsimeh Vardanian venait de naître quand sa famille fuit Ankara pour la France. Sa mère, épuisée par le périple, enveloppa Hripsimeh dans ses langes et l’abandonna dans la forêt, où le bébé demeura seul quelques heures. Prise de remords, sa mère revint la chercher.

Bedros travailla comme garçon boucher dans une échoppe que des amis avaient ouverte à Alfortville.

 

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                            Bedros (au centre) portant un tablier de boucher, France, 1932
 

En raison de problèmes administratifs, ses amis ne pouvaient l’enregistrer comme associé de la boucherie. Bedros était furieux. Un jour, encore aveuglé par la colère, Bedros tomba sur un groupe d’individus dans la rue qui portaient un panneau indiquant

« Inscription des volontaires voulant partir en Arménie soviétique ». Bedros s’exclama: « Inscrivez-moi. Je pars! ».

En 1936, Bedros et Hripsimeh embarquèrent sur le premier bateau de rapatriés de la France vers l’Arménie. Le couple s’installa dans le faubourg de Sovetachen près d’Erevan. Bedros travailla comme chauffeur de camion à la caserne de sapeurs-pompiers Sakharov de Erevan, un bâtiment qui existe toujours aujourd’hui. On leur alloua un espace de logement dans un grenier.

 

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 Une liste de rapatriés de France en Arménie soviétique. Les noms de Bedros (36) et Hripsimeh (21) y apparaissent en tout début. Document produit avec l’aimable autorisation des Archives Nationales d’Arménie.
 

Le premier enfant du couple fut appelé Garabed, du nom du père de Bedros; il est né en 1942. « Ma grand-mère raconterait qu’elle vit un film en France, à propos d’un violoniste. Elle fut tellement empreinte par le personnage principal qu’elle décidât que son enfant deviendrait aussi violoniste » raconte Vahagn. Ainsi, un film décida du destin de leur fils Garo Hayrapetyan, un violoniste réputé.

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     Le violoniste Garo Hayrapetyan  ©archives de la famille Hayrapetyan / PAN Photo Archive
 

La descendance de Bedros – 2 enfants, 5 petits-enfants et 9 arrières petits-enfants – grandit à Erevan et forma une dynastie de musiciens. Les petits enfants de Bedros, Vahagn Hayrapetian et Levon Pouchinyan, sont devenus respectivement pianiste et trompettiste. Son arrière-petit-fils Armen Pouchinyan est pianiste et déjà vainqueur d’une médaille à l’âge de 11 ans.

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                       Garo et Vahagn Hayrapetyan  ©archives de la famille Hayrapetyan / PAN Photo Archivee
 

Vahagn se souvient avec tendresse du “manti” de sa grand-mère Hripsimeh.

« Le manti était le plat préféré de nous tous. Ces petites raviolis…qui que ce soit qui les prépare ne peut rivaliser avec le goût de celui qu’elle préparait. Il y avait des journées « manti » où toute la famille se réunissait », se rappelle Vahagn. « Et mon grand-père connaissait vraiment bien sa viande. Les yeux fermés, il était capable de dépecer un agneau avec un talent tel qu’il ne puisse endommager quelconque pièce de la viande. Et quel pastourma préparait-il ! Il fondait dans votre bouche. Je n’ai jamais plus mangé un pastourma aussi délicieux et authentique ».

 

                                       


 
                                       Vahagn Hayrapetyan et Daniel Kramer, Erevan 2013
                                  

Dans ses dernières années, Bedros, qui avait un journal personnel, légua ce dernier à ses petits-enfants. Il s’agit d’un enregistrement de tous les parents et de l’endroit où ils vivent à travers le monde. Sur la page de couverture, Bedros y a inscrit, comme dans toutes les correspondances sa vie durant : « Hayrapetyan Bedros de Nalloukhan ».

Photo de couverture : mariage de Bedros Hayrapetyan et de Hripsimé Vartanian, Alfortville 1933 © collection privée famille Hayrapetyan

Ce récit a été authentifié par l’équipe de chercheurs de 100 LIVES

 

Subtitle: 
Comme dans un film
Story number: 
13
Author: 
Aghavni Yeghiazaryan
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