Ralph Yirikian
D'Adana à Beyrouth
Mes arrière-grands-parents paternels, Haroutioun Yirikian et Siroun Adalian, sont nés à Adana où ils se sont mariés et ont eu quatre enfants : César, qui est décédé très jeune, Martiros, mon grand-père, Ludvig et Eranouhi. Haroutioun y exerçait le métier de commerçant », raconte Ralph Yirikian.
« À Beyrouth, je vivais pleinement mon arménité mais je me demandais sans cesse si je ne devais pas plutôt me considérer libanais. J'interrogeais toujours mes amis à ce sujet : devais-je consacrer plus d'importance au jour de la fête nationale du Liban ou au 28 mai, anniversaire de l’indépendance de l’Arménie ?» Précise-t-il.
Haroutioun Yirikian et Siroun Adalian avec leurs enfants : (de gauche à droite) Eranouhi, Ludvig et Martiros. Adana, vers 1906. |
Adana se situe au centre de la plaine de Cilicie, au sud de la partie anatolienne de l'Empire ottoman. Au début du 20ème siècle, la ville comptait environ 45000 foyers dont 13000 étaient arméniens. Il y avait des églises, des écoles et des maternelles arméniennes. En avril 1909, un an après la révolution Jeune-Turque de 1908, les massacres des Arméniens du vilayet d'Adana causèrent la mort d’environ vingt mille personnes, et les quartiers et villages peuplés d'Arméniens tombèrent en ruine.
La famille Yirikian parvint à échapper aux massacres et émigra à Alep qui était alors relativement sûre. « Afin de subsister aux besoins de sa famille, Haroutioun travaillait comme éboueur. C'est là certainement qu'il attrapa la maladie infectieuse dont il mourut. Sa femme Siroun décéda seulement trois jours plus tard. Orphelins, leurs enfants furent contraints de retourner à Adana où ils furent placés en orphelinat ».
Le génocide des Arméniens débuta en 1915. Ceux qui ne furent pas exterminés chez eux furent déportés massivement vers le désert syrien.
Les orphelins Yirikian, comme des milliers d'autres Arméniens, se retrouvèrent alors à Alep, qui était une des étapes de la déportation.
Là bas, Martiros eut la chance d'être recueilli par une parente de sa mère, Siroun Adalian. Il souhaita cependant rester auprès de ses frères et sœurs et retourna à l'orphelinat. Peu de temps après, les enfants furent envoyés au Liban dans l'un des nombreux orphelinats arméniens. Martiros fit son service militaire à la Légion d'Orient (qui deviendra en 1919 la Légion arménienne) de l'Armée française. Ludvig s'installa à Damas où il vécut dans le milieu arménien ; il se maria avec une compatriote avec laquelle il eut trois garçons et une fille. Quant à Eranouhi, elle fonda une famille et vécut à Beyrouth.
Martiros a vécu dans un quartier des environs de Beyrouth où il y avait une faible présence arménienne. Il a fondé une famille avec une libanaise.
Les grands-parents de Ralph Yirikian, Martiros Yirikian et sa femme Anissa. |
« La femme de Martiros portait le prénom arabe Anissa. Je ne me souviens pas d'elle, elle est décédée quand j'avais à peine onze mois. Je me souviens de mon arrière-grand-père, il était grand et mince comme moi. Ayant déjà atteint un certain âge, le dos un peu voûté, il ne parvenait plus à se déplacer sans sa canne. Il était très peu loquace ; il parlait difficilement l'arménien, non pas qu’il l’ignorait, mais il ne le parlait pas en notre présence. Quand ses petits-enfants, mes frères et moi parlions l'arménien, je sentais qu'il se réjouissait, il prononçait quelques mots à son tour, mais revenait rapidement à l'arabe. A présent, je me dis qu'il y avait sans doute la manifestation d'une crainte, d'un choc psychologique dont il avait dû garder les séquelles toute sa vie. » Se souvient Ralph Yirikian.
Martiros eut trois enfants, Georgette, Siroun et César, le père de Ralph.
A l'arrière-plan, César, fils de Martiros. Au premier plan, Martiros au centre, entouré de ses deux filles, Siroun à sa droite et Georgette à sa gauche. |
« Mon père a grandi dans un milieu où il y avait très peu d'Arméniens. Lui non plus ne s'est pas marié avec une arménienne, pourtant ma mère a tout fait pour que nous conservions notre identité arménienne. »
César et Emilie Yirikian ont eu quatre enfants, Pierre, Paul, Mireille et Ralph.
« Voyant que mon père souffrait de ne pas savoir parler l'arménien, ma mère fit tout pour que nous l'apprenions. Tout en n'étant pas arménienne, elle a joué un grand rôle pour la préservation de notre identité arménienne. Ainsi, mes parents préférèrent nous envoyer à l'école arménienne, plutôt qu'à l'école arabe.» Raconte Ralph.
Les enfants de César et Emilie Yirikian : Ralph au centre avec ses frères jumeaux et sa sœur |
Ralph Yirikian rend régulièrement visite à sa famille à Beyrouth. Ses tantes paternelles ne savent pas l'arménien elles non plus, mais ont véritablement l'âme arménienne. « Mon père a 79 ans. Lors de ma dernière visite, il m'a montré une liste de mots arméniens qu'il avait écrits en arabe. À son âge, il a la volonté d'apprendre l'arménien. »
« La plus belle des décisions »
« Je suis né à Beyrouth et ma mère est libanaise, je suis donc à moitié libanais, mais le milieu dans lequel j'ai grandi – mon école et mes loisirs – était complètement arménien. Du début à la fin de la scolarité, à travers l'apprentissage de l'histoire, de la géographie et de la langue arméniennes, l'Arménie nous a été présentée comme un pays idéal », dit Yirikian.
Ralph Yirikian se rend pour la première fois en Arménie en 2001 dans le cadre d'un voyage d'affaires dans l'Artsakh [nom arménien du Haut-Karabagh] pour le compte de l’entreprise de téléphonie mobile libanaise LibanCell.
« J'ai bien sûr vécu un choc culturel. J'essayais de comprendre ce que je voyais sans y parvenir, la réalité ne correspondait pas à ce qui nous avait été enseigné pendant la période soviétique. Je me suis aperçu que je ne savais rien de l'Arménie. »
Le voyage d'affaires suivant de Ralph Yirikian en Arménie devait durer six mois. « J'ai annoncé que j'irais seulement si ma famille m’accompagnait. En rentrant à la maison, après une discussion avec ma femme qui n’a pas duré plus de cinq minutes, nous avons décidé de partir. À mon avis, cela a été une des plus belles décisions de notre vie conjugale. Et finalement, les six mois devinrent quatorze ans.» Dit Ralph Yirikian.
Ralph Yirikian avec sa femme Arminé et leurs enfants Sarin et Narek. |
Depuis 2005, Ralph Yirikian est le directeur général de la compagnie VivaCell-MTS. Sa direction a considérablement étendu la sphère d'activité de la téléphonie mobile en Arménie. Grâce à une série de propositions innovantes, la compagnie a non seulement élargi la gamme des services à prix abordables pour les consommateurs arméniens, mais a également servi d'exemple en matière de responsabilité sociale, en investissant depuis plusieurs années pour l'écologie, les sphères sociale et culturelle.
« Si nous voulons avoir d’ici vingt ou cinquante ans une génération saine, instruite et responsable, nous devons bâtir un socle solide. Il nous faut concentrer notre attention sur les domaines de la santé publique, de l'instruction, de l'écologie et de la culture. » Fait remarquer Ralph Yirikian.
Ralph Yirikian apporte une aide constante au Musée-Institut du génocide arménien d'Erevan pour l'acquisition de documents et d'objets de valeurs. Grâce à son mécénat, de nombreux objets ont pu être acquis lors de ventes aux enchères partout dans le monde. Ils sont aujourd'hui conservés au Musée-Institut et constituent une preuve et un témoignage du génocide.
« Je ne vis pas dans le passé, mais il me semble indispensable que la justice soit rétablie pour que nous puissions offrir une vie paisible et en sécurité à nos enfants. Afin de rendre hommage à nos ancêtres martyrs, chaque Arménien devrait se sentir concerné par cette quête de justice. De la même manière, c'est une responsabilité personnelle que je me donne face à ma famille. », dit Yirikian
Ralph Yirikian considère que la République d’Arménie constitue une partie de notre patrie, un centre historique, culturel et religieux ancien, doté d'une nature merveilleuse et d'une situation géographique exceptionnelle, et dont l'eau et l'air sont incomparables.
« En 24 ans d'indépendance, nous avons parcouru un long chemin que d'autres ont parcouru en 100 ans. Le processus de développement exige de la patience, il nous faut rester optimistes, réfléchir et s'exprimer de manière constructive afin de ressortir toujours vainqueurs à l'avenir. C'est le message que je souhaiterais transmettre à mes enfants et à tout le monde : il faut avoir confiance en nos capacités!» Affirme-t-il.
Cette histoire a été authentifiée par l’équipe de chercheurs de 100 LIVES